Fragments

Peut-on incarner une pensée au théâtre comme on incarne un personnage ? Bérengère Warluzel s’y aventure, cheminant au fil de l’oeuvre d’Hannah Arendt pour tenter, comme elle, de « penser sans entraves ».

Fragments n’est pas une pièce sur la vie d’Hannah Arendt, cette grande politologue du xxe siècle et du totalitarisme. Elle ne suit ni fil biographique, ni contours psychologiques, mais fait le pari subtil de mettre en mouvement une pensée complexe. Pour cela, la comédienne Bérengère Warluzel qui connaît ses ouvrages intimement, opère un montage parmi ses textes politiques les plus connus, mais aussi à partir d’écrits plus confidentiels : poésies, interviews… À travers sa présence habitée et lumineuse, c’est le travail intellectuel d’une vie qui se matérialise, une oeuvre majeure dont elle ravive l’intensité si actuelle. Cela pourrait être ardu. C’est, à l’inverse, un bijou de lucidité et de pédagogie qui parvient à faire émerger en chacun·e de nous le désir profond de la pensée.
À la mise en scène, Charles Berling prend le parti de la sobriété. Sur le plateau, un tapis rouge, une table et, disséminés, des montagnes de livres paraissent attendre d’être ouverts. Y’avait-il besoin de plus pour laisser place à la densité de la pensée ? Vibrante, la comédienne fait danser les mots et les concepts d’Hannah Arendt. Du procès d’Eichmann, d’où émergea son concept de la banalité du mal, aux prémices d’une pensée écologique, tout résonne avec acuité. Sans nul doute, la pensée d’Arendt constitue un phare nécessaire pour éclairer encore les maux d’hier et comprendre les fracas du monde présent et à venir.