Sortir Bordeaux Gironde : Bordeaux, c'était comment avant ?
Yoko Tawada (l'écrivain)
: Avant de me voir proposer cette résidence par la région, je n'avais aucune idée, aucune indication concernant Bordeaux. À part bien sûr le vin, pour moi, Bordeaux faisait figure de ville blanche...

Emmanuelle Roques (la photographe)
: Lorsque j'étais ado, Bordeaux rimait avec éteinte, morbide. Le symbole, c'étaient ces fameuses grilles séparant la ville du fleuve... Un véritable drame. Et puis entre l'eau et la ville, il y avait cette espèce de no-man's-land infréquentable, où l'on pouvait pourtant sentir les vestiges du port. L'espace était là, mais il ne semblait pas disponible. Toutes ces années, ça ressemble à une grosse dépression, qui aurait quelque peu dépeint sur la population : le paysage urbain agit sur le psychisme des habitants, c'est évident. Les quais permettent aujourd'hui des choses socialement impossible avant : Bordeaux était une ville très stratifiée, où s'extraire de son quartier s'avérait compliqué. Par exemple, le vieil harki qui ne dépassait pas la Porte de Bourgogne a désormais l'occasion de rencontrer et discuter avec des gens des Chartrons.

Sortir : Rien à voir avec la certaine vitalité actuelle.
E. Roques
: Ce n'est plus du tout la même ville aujourd'hui : tout y est totalement différent, le paysage, le son, le rythme, la façon dont les gens s'approprient les lieux... comme une pièce de théâtre où l'on ne jouerait plus la même scène. Dans l'esprit, Bordeaux reste une ville classique, assez intimidante par son décor, mais l'équipe actuelle (à la mairie) y a apporté des éléments à la fois sobres et modernes, le tram' notamment, en termes de mobilier urbain. Toutes ces transformations laissant place à des sonorités nouvelles : moins d'embouteillages, mais le bruit des enfants, des skaters, même le tram' se fait entendre avec douceur... la vie reprend le dessus.

Sortir : Et puis les quais, évidemment...
Y. Tawada
: C'est ce côté ville portuaire, cette attache à l'eau qui m'ont frappé le plus, et pas seulement parce que ça me rappelait Hambourg. Ce mouvement, cet imaginaire fait de gens qui restent au port ou simplement de passage... Et puis c'est ce contraste évident entre modernité et mode de vie traditionnel des Bordelais, l'architecture, la gastronomie, la façon d'être même : sans  généraliser, le Bordelais m'a semblé plutôt observateur, enclin à garder ses distances... Par contre, j'ai rarement vu un centre autant en harmonie avec le style général de la ville.

Sortir : Justement, comment voyez-vous Bordeaux, dans un futur plus ou moins proche ?
E. Roques
: Tout ce que j'espère, c'est que même si elle demeure à évolution lente, la ville continue sur cette énergie. Bordeaux a un potentiel exceptionnel : beaucoup de gens de l'extérieur, avec une vision plus large, des choix de vie différents, viennent s'y installer pour la qualité de vie... il faut savoir les intégrer, leur faire une place et s'inspirer de cette fraiche vision pour donner une impulsion nouvelle à la ville. Il va se passer des choses merveilleuses à Bordeaux, mais ça passera par l'ouverture : les décisionnaires doivent s'appuyer à la fois sur les forces locales et sur l'apport des nouveaux Bordelais. Mais attention à ne pas non plus en faire une place touristique trop nickel, à la Disneyland...