Mollat : Ça a commencé comment pour vous, le rugby ?
Pierre Villepreux :
Tout simplement, à l'école : un samedi après-midi, l'instituteur avait ramené un poste de radio, pour suivre un France/Ecosse du Tournoi des V Nations. Que l'instituteur s'y intéresse, ça représentait pour nous un surplus de motivation ! Du coup après le match, on est parti sur le terrain à côté pour reproduire ce qu'on avait entendu... derrière, chaque rencontre du Tournoi était pour nous l'occasion d'endosser la casaque des joueurs connus du moment, comme Piatte ou Boniface. Et puis un jour, mes parents m'ont amené à Paris voir un match du Tournoi : la coopération, la volonté, le courage, toutes ces valeurs, ça m'a donné l'impression que ces gens sur le terrain étaient des gens biens... et j'ai eu envie de leur ressembler.

Mollat : Et vos débuts en club, ça s'est passé à Brive...
P. Villepreux
: En Seconde, je suis rentrée au Lycée Cabanis : être bon rugbyman, disons que ça a arrangé mes affaires. En juniors, je jouais à l'ouverture, car j'aimais toucher le ballon et organiser le jeu, mais je n'étais pas très bon à ce poste pour cause de coup de pied facile. Alors un jour, le président m'a dit : "il faut que tu joues arrière pour être en Première"... je lui ai répondu d'accord, à condition que je puisse courir avec la balle et m'intercaler. À partir de là avec mes camarades, on a bouleversé le style de jeu briviste : plutôt basé sur la force et le jeu d'avants, l'équipe s'est mis à jouer au ballon et on a été en finale, seulement battu par Agen (en 1965).

Mollat : Derrière, c'est l'arrivée à Toulouse.
P. Villepreux
: J'y ai débarqué pour poursuivre mes études de sport (afin de devenir prof). Et niveau rugby, j'y ai rencontré des hommes d'exception, au sein d'un club à l'époque loin d'être à la hauteur de ce qu'il est aujourd'hui. J'y ai découvert un esprit de convivialité, un rugby libéré avec priorité au jeu à la main qui se voulait toulousain, hérité de l'équipe titrée quatre fois dans les années 20... À travers cette philosophie, c'est l'individualisme qui préside à la construction du jeu, et lorsque que le sens collectif est également en place, c'est facile de voir ce que va faire le porteur de balle et s'adapter. Tous ces gens ont su me transmettre une certaine idée du rugby, mais aussi de la vie.

Mollat : Et puis il y a cette première sélection en équipe de France, face à l'Irlande...
P. Villepreux
: Oui, premier match dans le Tournoi, à Dublin. Je me souviens de ce joueur, Kennedy : sur une balle que je récupère au sol, il me saute sur le ventre les deux pieds les premiers ! À la sortie, nous avons gagné, Kennedy me prend par le cou et me dit : "fais pas la gueule, ce soir on va boire quelques bières et la vie continue"... Le soir, je le vois au banquet arriver avec deux Guiness, et par la suite, on est devenu amis. Le rugby, c'est ça, les adversaires sont aussi des partenaires.

Mollat : Passons votre carrière de joueur, ce nouveau Brennus perdu en 69 face à Bègles, le style de jeu insufflé en équipe de France, pour en venir à cette deuxième vie d'éducateur.
P. Villepreux
: Juste après avoir annoncé l'arrêt de ma carrière, je pars pour Tahiti : je faisais le tour des écoles pour transmettre les bases de mon sport... eh bien tous ces jeunes se sont mis à aimer le rugby, parce que justement, ils jouaient : tout autre pédagogie n'aurait pas fonctionné. Une belle aventure achevée avec la venue de l'équipe de Nouvelle-Zélande, qui a accepté de disputer un match contre une sélection de l'île : on a pris 103 à 3, mais vous vous rendez compte, on a mis trois points aux All Blacks !

Mollat : Et puis c'est le retour à Toulouse, avec cette fois la casquette d'entraîneur.
P. Villepreux
: On a mis en place ce projet avec le président Fabre, projet de jeu à l'origine du Stade Toulousain que l'on connaît aujourd'hui, mais aussi des premières bisbilles avec la Fédération. Résultat, on a été champion de France au bout de la troisième année, en communiquant beaucoup sur le jeu : "venez voir le Stade Toulousain car on va vous montrer autre chose". Les joueurs ont adhéré à ce rugby moderne, dynamique : avancer, mais surtout affronter l'adversaire intelligemment, pour le déborder sur ses points faibles. Une vision différente qui nous a causé pas mal de conflits avec les dirigeants et les entraîneurs français, notamment Jacques Fourroux.

Mollat : D'où votre arrivée "tardive" chez les Bleus.
P. Villepreux
: Les choses se concrétisent en 1995 après la Coupe du monde, aux côtés de Jean-Claude Skrela : une belle aventure au niveau résultats puisqu'on a gagné le Grand Chelem en 97 puis en 98, avant de disputer une finale de Coupe du monde l'année suivante. Mais sur la qualité de jeu, il y aurait beaucoup de choses à redire : les joueurs n'étaient pas totalement prêts à aller vers le rugby que je voulais les voir pratiquer. D'ailleurs, il y a ce match où on prend 50 pions face aux Sudafs, contre qui l'on avait pas su répondre à une organisation de jeu nouvelle... ça nous a poussé à aller dans le sens de l'innovation, ce qui nous a posé problèmes pour se rendre à la Coupe du monde dans les meilleures conditions... C'est pourquoi aujourd'hui, il ne faut pas désespérer avec Marc Lièvremont.