Cette année, Bordeaux est plus que jamais tournée vers le vin et la figure de Bacchus. Ouverture de la cité du Vin et fête du vin au mois de juin et programme culturel dédié avec Bacchanales Modernes, une programmation transversale qui unit beaux arts, photographie, danse, musique et cinéma autour de la figure de Bacchus.
Une figure ambivalente, qui au XIXème siècle, période explorée par l'exposition Bacchanales Modernes à la Galerie des Beaux-Arts, cristallise tensions et paradoxes sociaux. La société du XIXème, corsetée en public, est en même temps assez libérée dans le privé comme en témoignent certaines des œuvres présentées dans un parcours thématique qui explore les différentes facettes des compagnes de Bacchus. A l'origine nourrices de Bacchus, les Bacchantes faisaient cortège autour de lui, courant et dansant à demi-nues ou couvertes de peaux de panthères. Pas étonnant alors qu'elles soient associées aux figures des danseuses et des chanteuses parisiennes du XIXème, libérées et sensuelles. Mais ces figures de vie ont aussi des caractéristiques inquiétantes : sauvages et mortifères (elles assassinent Orphée dans une version de son mythe), elles représentent des instincts charnels que cette société souhaite juguler et contrôler pour préserver l'ordre social. Le parcours -imaginé par la directrice du musée en partenariat avec le directeur du musée des Beaux-Arts d'Ajaccio et Sara Vitacca, doctorante en histoire de l'art- et scénographié par Hubert Le Gall met en scène ces tendances en réunissant 130 œuvres venues entre autres d'Orsay, du Louvre, du Petit Palais. Il débute par la mise en évidence de l'aspect mythique du thème, accueillant le public avec la reproduction d'une œuvre de William Bouguereau. Le premier espace présente ainsi des œuvres inspirées par ce sujet antique, de Gérôme à Rodin en passant par le romantique Gustave Moreau.
Mais l'académisme est ici vite bousculé. Ainsi, Satyre et Bacchante, marbre de James Pradier exposé dans le parcours, fait scandale au Salon de 1834. La figure de la Bacchante y est si réaliste et incarnée que la rumeur courut qu'elle a été moulée sur le corps du modèle Juliette Drouet (plus connue comme la maîtresse de Victor Hugo). La Bacchante, on le verra dans les salles suivantes, excite en effet les Bourgeois par son érotisme. Une sélection de vues stéréoscopiques nous met dans la position du voyeur polisson, et introduit le tableau irrévérent d'Edouard-Antoine Marsal Satyre et Bacchante. Cette nouvelle vision plus populaire fait de cette dernière un avatar de la courtisane, femme aux mœurs légères, et par extension muse, danseuse ou actrice. Le groupe de la danse, sculpture de Jean-Baptiste Carpeaux qui orne la façade de l'Opéra Garnier depuis 1969, fut ainsi victime de cette mauvaise réputation et dégradée par des conservateurs qui demandèrent son retrait. Car la liberté de ces femmes échevelées, nues et mouvantes est aussi menaçante. Comme le dit Isadora Duncan -qui posa les fondations de la danse moderne- « La danse, c'est l'extase dionysiaque qui emporte tout », c'est l'absence de contrôle. Sous le vernis des œuvres se dévoile alors un discours misogyne. Dans La mort d'Orphée, les Ménades déchirent le corps du héros, alors que chez Gérôme ou Edgard Maxence, la femme, inquiétante, porte des attributs animaux.
Cortège bachique dans la cité de Bacchus
Les figures de Bacchus, de Dionysos et de leurs cortèges sont aussi mises à l'honneur par une programmation diversifiée sur la Métropole : un colloque international autour de la figure dionysiaque, des projections cinéma, une visite « luxure et autres péchés » et des concerts de musique du XIX et XXème siècles au Musée des Beaux-Arts, des ateliers enfants, des balades art et vin, un spectacle lecture autour du ballet Giselle et même une version contemporaine des bacchanales avec une grande « Bacchanight » étudiante.