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Un moment avec la Grande Sophie

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La Grande Sophie sera en concert le 29 mars au Bikini de Ramonville-Saint-Agne et le 30 mars au Rocher de Palmer de Cenon.

Sortir : Commençons par l'ambiance générale de l'album. La pochette, le titre de l'album, les thématiques abordées, l'esthétique des clips évoquent des allers-retours entre passé et présent. Cela fait-il écho à une profonde réflexion ?


La Grande Sophie : C'est ma position en fait, j'ai l'impression de faire le grand écart entre deux mondes. Un monde plus vintage – j'ai connu un quatre pistes pour enregistrer un album, j'ai connu une vie sans les réseaux, sans les smartphones – et un monde virtuel, accentué par la crise du covid. Et moi, j'essaie de faire le lien entre ces deux mondes, c'est pour ça que j'ai choisi pour faire ma pochette un selfie au smartphone, mais développé grâce à la technique du cyanotype, qui date de 1842. C'était une bonne manière de me situer, en disant que surtout, ces mondes, on ne les sépare pas, on ne les cloisonne pas. Je suis au milieu, j'ai envie de les rassembler. Je ne veux pas de cloisonnement de génération. J'ai déjà l'impression que la société nous pousse à ça. Je ne l'accepte pas. Je crois qu'une société se construit avec toutes les générations, avec des nouveaux arrivants, ceux qui naissent, des migrants, des gens handicapés... On ne cloisonne rien, on prend en considération tout le monde.

Sortir : Vous avez parlé de cette pochette réalisée par vos soins. C'était important pour vous de mettre votre patte sur l'album en général ?

La Grande Sophie : Oui. Cet album me correspond à 100% parce que j'ai fait tous les arrangements (sauf pour une chanson). J'ai travaillé en petit comité avec un partenaire, Jan Ghazi, qui m'a poussée à faire cet album toute seule. Au début j'ai dit oui et après j'ai dit : « Non, non, mais attends, les batteries, les basses je ne pourrai pas les faire ! », donc on a fait rentrer les copains. C'est un album assez familial, on est allés dans les petits studios, j'ai fait beaucoup à la maison, dans le studio de Jan aussi. C'était important pour moi, notamment pour la pochette, de revenir à quelque chose de manuel : quand j'étais étudiante, j'ai fait les Beaux-Arts, c'était une façon de renouer avec un passé. Ça marque aussi une indépendance, qui vient de mon expérience (je fais par exemple des musiques de film seule à la maison), mais qui ne transparaît pas dans mes autres albums. Là, j'ai décidé de marquer cette indépendance, même si je travaille avec une major, pour le public. Je suis même allée plus loin : j'ai réalisé des cyanotypes pour tous ceux qui précommandaient l'album (j'en ai fait 200 à la main !) pour les remercier de leur fidélité. Je me mets à leur place, ce qui me ferait plaisir ce serait de recevoir quelque chose avec les empreintes de l'artiste. J'ai passé du temps pour eux, je trouve ça normal. Tout comme ma façon à moi de remercier les spectateurs après un concert c'est de faire une petite séance de dédicace. Ils sont contents, moi aussi, j'ai des retours sur mes chansons.

Sortir : Pouvez-vous nous raconter la genèse de cet album ?

La Grande Sophie : J'ai écrit la première chanson de l'album, qui s'appelle Ensemble, le 16 mars 2020, quand on nous a annoncé qu'on allait rentrer en confinement, mot qu'on ne connaissait pas d'ailleurs... Je trouvais ça tellement énorme, j'ai voulu donner un élan de courage à tout le monde. Ce n'est pas prétentieux, ça fait partie de mon tempérament, ce n'est pas pour rien que j'ai écrit Du courage... Je dis toujours que je suis celle qui écoute les autres, j'aime bien écouter et donner de la force aux gens. Je me suis dit que j'allais essayer de leur donner de l'espoir. Je n'ai pas terminé la chanson, mais je l'ai balancée sur mes réseaux. Dès les sorties de confinement, je retrouvais la scène et je reprenais cette chanson. Je me suis dit que j'allais la finir et elle a donné le ton. Elle a un côté très folk, chaleureux, et durant toute l'écriture de l'album, je me suis imaginée autour d'un feu de camp. D'ailleurs, la tournée et l'album ont une bicolorité : le bleu du cyanotype et le orange du feu de camp. Quand il a fallu imaginer la scénographie de la tournée, j'ai dessiné un feu de camp. Je voulais qu'il soit en néons, je l'ai confié à Alexia, qui créé le décor du spectacle et elle l'a fait exister. Je voulais que les gens voient tout le processus, tout ce que j'avais élaboré dans ma tête. On y est, tout se passe autour de ce feu de camp sur scène, c'est un élément central, comme il l'a été pour l'écriture.

Sortir : On ressent en effet une grande intimité à l’écoute de l’album, qui est très épuré.

La Grande Sophie : C'est très dur en fait d'épurer, quand on enregistre il y a toujours une piste libre, sur laquelle on a envie d'ajouter un instrument. Mais qu'est-ce qui le principal dans tout ça ? C'est plus dur d'arriver à l'essentiel que de rajouter. Comme j'ai pu le faire sur l'album, la scénographie est très épurée. Il y a sept éléments centraux, pas grand-chose d'autre. Par expérience, on a toujours envie de faire quelque chose de différent. Je crois que j'en avais assez de voir des lumières qui clignotent dans tous les sens, des vidéos derrière... J'ai envie de voir l'artiste en fait.

Sortir : Votre voix occupe d’ailleurs une place plus importante que dans vos précédents albums.

La Grande Sophie : Tout le monde me le dit ! Les gens du son ont tendance à sous-mixer les voix. Les chanteurs aiment les voix en avant, mais souvent on dit que ça fait trop variét'. Moi j'ai toujours aimé ça, Gainsbourg la voix est hyper en avant, si vous écoutez PJ Harvey, la voix est hyper en avant. A chaque fois je me suis battue pour ça, mais apparemment pas suffisamment ! Il suffit que je prenne les choses en main pour qu'on l'entende mieux.

Sortir : Y a-t-il un titre de l’album qui vous tient particulièrement à cœur ?

La Grande Sophie : J'avoue qu'il y a des réactions qui me font très plaisir. J'ai beaucoup travaillé avec Jan, qui m'a beaucoup rassuré sur les chansons. Parfois on fait faire des petites écoutes autour de soi et certaines chansons ne ressortent pas vraiment, mais auxquelles on tient. Je pense à deux titres : Vulgaire et L'escalier. Ce sont des titres, comme tous, très intimes, très personnels. Vulgaire parle d’une expérience vécue, dans notre époque où ce sont les algorithmes qui comptent, les chiffres, et plus forcément le côté créatif. Des jeunes sont attirés par un artiste parce qu'il a beaucoup de followers, mais ils ne regardent pas si la chanson leur plaît. On ne s'attache pas à l'essentiel. C'est ce que j'ai voulu dire dans Vulgaire, mais j'avais peur de ne pas être comprise et je me rends compte que, quand je chante cette chanson sur scène, les gens la valorisent. Il y a une surdose d'applaudissements, qui me font plaisir. L'escalier, je suis plus pudique quand je la chante, parce que ça correspond à ce que je vis. Dans notre métier, on a des hauts et des bas. A mon âge, on essaie plus de pousser les gens vers la sortie, que de les intégrer. Je le ressens fortement, même dans les discours les plus bienveillants. Les phrases sont cruelles. J'ai voulu en parler en disant que ça arrive à tout le monde, je donne toujours de l'espoir dans mes chansons. Quand j’amène sur scène cette chanson, j'explique aux gens que, quand je l’ai écrite, j'étais très recroquevillée sur moi-même. Je leur demande de me dire s'ils l'ont comprise, en reprenant les « Mmmmh, mmmmh ». Et il ne se passe pas deux secondes sans que tout le monde chante. C'est très touchant. Maintenant, je me dis de suivre mon instinct. Peut-être que des gens m'ont découragée à mettre ces chansons, mais en fait, celles qui parlent aux gens ce sont ces titres-là. Je pense que les gens vivent la même chose, en tout cas ma génération. On a le public de sa génération en général. J'ai senti qu'il y avait une écoute particulière sur ces titres. Mon rôle c'est aussi de saisir mon air du temps à moi. Et encore une fois, il ne faut pas négliger la jeunesse, l'âge adulte, les enfants. Ce sont des regards, tout est intéressant, moi je parle plus du mieux, parce que c'est ce que je connais mieux !

Sortir : Comment se sont passées vos retrouvailles avec la scène ?

La Grande Sophie : J'aime bien faire des pauses de silence dans ma vie. Parfois, je ne touche plus trop ma guitare, je ne sors pas spécialement beaucoup pour voir d'autres concerts, parce que j'ai besoin de retrouver ce désir. Quand vous êtes trop sollicité par ça, au bout d'un moment il y a une routine. Alors que quand je vais voir un concert, je ne veux pas louper le début, ni la fin, je ne veux pas être blasée. Je veux garder ce pour quoi j'ai choisi de faire ce métier : par plaisir. Ce plaisir il faut le cultiver. Quand ça devient votre métier, d'autres choses peuvent prendre le pouvoir. Je ne fais pas partie de ceux qui ont choisi de faire des concerts à travers leur téléphone pendant les confinements. Ça m'a fait peur, je me suis dit que si on donne l'habitude aux gens, ils allaient tous faire ça, que plus personne n'allait sortir. Il y a forcément une distance, mais le fait de se retrouver c'était super. On a décalé la sortie de l'album, mais j'ai maintenu la scène. J'ai commencé fin octobre. Je voulais faire confiance aux gens justement, ce public qui m'est fidèle. Ils ne connaissaient pas les chansons, mais pour certaines, ils étaient très présents.

 

Propos recueillis par Aurore de Carbonnières

Publié le 02/03/2023 Auteur : nicolas lecomte

©Victor Paimblanc


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