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La nouvelle saison de Charleroi Danse par Annie Bozzini

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Fin octobre, le centre chorégraphique de Wallonie-Bruxelles ouvrira sa saison 2020-2021 dans un contexte sanitaire inédit. Sa directrice, Annie Bozzini, a accepté de nous présenter cette programmation, en écho avec l'actualité.

 

 

Sortir Wallonie : Quand on s'intéresse à la danse en Belgique, on entend rapidement parler de Charleroi Danse et de ses programmations pointues. Pouvez-vous nous présenter la structure que vous dirigez et ses missions ?

Annie Bozzini : Charleroi Danse c'est le centre chorégraphique de Wallonie-Bruxelles, historiquement installé sur deux sites, La Raffinerie à Bruxelles et les Ecuries à Charleroi. C'est la structure qui prend en charge le passé, le présent et l'avenir de la danse en Belgique. Son rôle est de penser l'histoire de la danse, la formation, l'insertion professionnelle des danseurs, leur emploi, leur reconversion... La carrière du danseur ne s'arrête pas au bord du plateau. Nous faisons beaucoup plus que simplement montrer des spectacles, on n'est pas un théâtre. Evidemment Charleroi Danse accueille le public, le forme, instaure une relation de confiance avec lui, parce que c'est ce dont les artistes ont besoin, mais pour nous, ça, c'est la partie émergée de l'iceberg. Nous faisons beaucoup d'autres choses pour rendre service à la profession, lui préparer un meilleur avenir. Par rapport à un théâtre, nous avons des missions plus larges et une reponsabilité plus importante, qui concernent l'ensemble de la profession et son développement.

 

Sortir Wallonie : Comme toutes les salles accueillant des événements culturels, vous avez dû annuler toutes vos manifestations à partir du mois de mars. Comment s'est déroulé le confinement pour Charleroi Danse ? Comment avez-vous maintenu le lien avec le public et avec les artistes ?

Annie Bozzini : Pendant le confinement, nous avons mis en place les vignettes vidéos, qui ont donné lieu à la création d'une cinquantaine de vidéos faites à la maison, puisqu'à l'époque les artistes étaient bloqués chez eux. Elles ont permis aux artistes de s'approprier cet outil à la maison, et, en même temps, nous avons pu rémunérer ces artistes pour ces temps créatifs. Toutes les dates annulées ne permettaient plus de les rémunérer correctement. Après, on a vu que certains rencontraient des difficultés réelles de survie. Nous avons donc créé un Fonds de solidarité, alimenté par les places non remboursées, par le personnel... qui nous a permis de répondre aux besoins les plus urgents. Le personnel, lui, a toujours travaillé et été rémunéré. Nous avons reporté quasiment tout le festival LEGS, ainsi que la fin de la programmation de la saison, à part une seule compagnie, que nous avons rémunérée intégralement. Nous avons payé le cachet comme s'ils avaient fait leur représentation.

 

Sortir Wallonie : Et au moment du déconfinement ?

Annie Bozzini : Nous avons très vite repris les répétitions par bulles personnelles. Par exemple, les gens qui vivaient en couple sont revenus répéter, parce qu'ils ne risquaient pas plus en venant travailler avec des règles de circulation. Nous avons la chance d'avoir des espaces très grands, qui permettent de ne pas être les uns sur les autres et de travailler séparément. Et puis tout de suite après les annonces du 1er juillet, nous nous sommes dit que nous allions faire une manifestation, « Unlocked », une espèce de petit festival pendant quatre jours. Nous avons pu mettre certains artistes autour d'une table, en respectant la réglementation, et nous nous sommes demandé ce que nous pouvions proposer comme formes inédites, par rapport à ce que nous venions de traverser. Nous avons eu quatre jours formidables à Charleroi et à Bruxelles. Nous avons été les premiers, je crois, à rouvrir. Comme nos deux espaces ont un extérieur, nous avons pu accueillir du public. Là aussi, nous avons pu sortir un budget artistique assez important. Les artistes présents étaient essentiellement de Bruxelles, ou de la périphérie, ça permettait encore une fois de sauvegarder de l'emploi. Nous avons de l'argent public et nous devons le rendre aux artistes et accueillir du public. Depuis la rentrée, nous essayons de recevoir le public normalement avec les jauges très limitées qui nous sont imposées. Jusqu'ici tout va bien.

 

 

L'Age d'or, Eric Minh Cuong Castaing © Shonen Insolence Production

 

Sortir Wallonie : Dans le contexte particulier qui nous entoure, comment avez-vous pensé cette nouvelle saison et quelles sont ses particularités ?

Annie Bozzini : En général, quand on imagine une saison, on se projette dans l'avenir, là on rattrape du temps avec les choses qu'on aurait dû faire dans le passé. On balance entre les deux, c'est un drôle de rapport au temps. Au lieu d'être dans le futur, dans la création, dans les choses inédites qu'on va pouvoir montrer, il y a une espèce de ralentissement, du fait que les choses qu'on aurait dû voir, on ne les pas vues encore. On jongle entre les reports et les nouvelles propositions, qui doivent normalement composer une saison, c'est-à-dire un panorama de ce qui se fait en ce moment. Nous avons un petit retard là-dessus, qui ne va pas se résorber en une saison je pense.

Il y a aussi beaucoup d'artistes de l'étranger qui ne peuvent pas venir. Cette saison, nous avions la création de Robin Orlyn, qui est Sud-Africaine. Nous ne pourrons pas la faire venir. La carte blanche était la pièce de François Chaignaud. Ils sont Norvégiens, ils ne peuvent pas sortir de chez eux. Le projet de la compagnie de Dorothée Munyaneza s'appuyait sur la rencontre avec des femmes nées en Afrique ou d'origine africaine, vivant à Haïti, au Brésil, à Chicago... tout ça a dû être révisé à l'aune de la covid. Le rapport au lointain est aussi quelque chose de nouveau. Nous avions beaucoup raccourci les distances, avec une certaine proximité dans la co-production. Là nous sommes obligés de revenir uniquement vers des compagnies qui n'ont pas de difficultés à se déplacer, de travailler dans une proximité géographique qui n'était pas la nôtre jusqu'à présent. Qui reviendra, je pense – j'espère ! - mais qui, pour l'instant, n'est plus à l'ordre du jour. C'est dans notre ADN d'accueillir des artistes du monde entier, d'être attentif à la production. Nous avons mis tellement de temps déjà à regarder ce qui se passait ailleurs, en dehors de chez nous, en dehors de l'Europe, de l'Amérique, du côté de l'Afrique et des continents les plus éloignés. Et maintenant nous sommes ralentis dans nos envies, dans tout ce que nous avons suscité, dans toutes les productions, du fait de la pandémie.

 

Sortir Wallonie : Quels sont les temps forts de cette saison particulière ?

Annie Bozzoni : Nous ouvrons la saison avec L'Âge d'Or d'Eric Minh Cuong Castaing, une création avec des enfants handicapés. Je trouvais intéressant d'ouvrir sur d'autres continents, ceux des gens empêchés de danser et d'apporter, dans l'actualité, la question de l'attention que nous portons aux autres quand ils sont dans une grande difficulté corporelle. Pour ouvrir une saison, je trouvais que c'était un geste dans la foulée de ce que nous venons de traverser. Ces enfants sont handicapés certes, mais on prend soin d'eux et les artistes les font danser sur le plateau et provoquent en eux des gestes, différents des gestes quotidiens, du soin, dont ils ont l'habitude. C'était aussi faire la place aux plus jeunes, aux enfants, qui vont, à mon avis, subir les effets les plus dramatiques de la covid. Il fallait que, dans cette saison, on porte une attention particulière à la nouvelle génération. Soit enfant : on a une programmation destinée au jeune public plus importante que jamais, soit adolescent, avec ce qu'ils aiment, c'est-à-dire ce temps hip hop à Charleroi, qui est important. Nous n'avions jamais suffisamment mis l'accent sur ces générations-là. Ça caractérise vraiment une saison peu ordinaire, même si, par ailleurs, on consacre une part importante à la création, on continue le festival LEGS... Il y a là quelque chose de symptomatique de la période actuelle.

 

Sortir Wallonie : Parmi tous les spectacles proposés, quels sont vos coups-de-cœur ?

Annie Bozzoni : J'aime bien, par exemple, un projet qui s'adresse à tous les publics et crée du lien intergénérationnel : Revoir Lascaux de Gaëlle Bourges. C'est la fameuse histoire de la découverte, en 1940, de la Grotte de Lascaux par des enfants, qui, par hasard, tombent sur cette grotte, un des chefs-d'œuvre de l'art pariétal. Et que font-ils quand ils sont dans cette grotte ? Ils se mettent à danser de joie, d'enthousiasme face à cette découverte qu'ils pressentent incroyable. Je trouvais beau qu'une artiste se penche sur ce sujet, une étape fondamentale dans l'histoire de l'art, et le ramène au bonheur de la danse, cette espèce de geste premier face à une découverte extraordinaire. Ce qui est intéressant c'est que la chorégraphe le fait à la fois avec les moyens d'aujourd'hui (vidéos...) et en même temps avec des moyens très archaïques. On verra ce que ça donnera tant à Charleroi qu'à Bruxelles. Dans le Focus hip hop qu'on va faire en novembre, j'aime bien les Queen Blood d'Ousmane Sy. Je trouve que c'est donner enfin la parole au genre féminin dans la question du hip hop, où il a souvent été abordé, mais pas suffisamment mis en valeur. Que les filles se coltinent la scène avec cette énergie, en tant que conquérantes et grandes artistes, ça me fait plaisir. Après j'aime vraiment tout ce qu'on va voir, tout ce qu'on va découvrir, puisqu'on prend le risque de la création.

 

Sortir Wallonie : Quel est votre ressenti par rapport au public ? Pensez-vous qu'il sera au rendez-vous ou que la situation le dissuadera de revenir à Charleroi Danse ?

Annie Bozzini : On ne peut pas savoir. Très sincèrement, c'est un mystère pour moi. Je me garderais bien de tirer des conclusions. Je pense qu'il y a un fort désir d'être à nouveau dans l'idée de la communauté, parce qu'aller au spectacle c'est quand même appartenir à une communauté. C'est ce qui nous est interdit aujourd'hui globalement. Comment est-ce que les gens vont braver cette espèce d'interdiction qui nous est martelée, jusqu'où vont-ils aller ? Après, les gens ne s'interdisent pas de prendre le train, ni le tramway, ni le bus, parce qu'ils en ont besoin. On ne prend objectivement pas plus de risque à venir dans une salle de spectacle, avec toutes les précautions que nous saurons prendre et que les gens petit à petit intègrent. Ils savent qu'il faut se laver les mains, qu'il faut porter un masque. Je pense qu'il n'y a pas de danger majeur. Mais est-ce que les gens vont venir, pour moi c'est mystérieux. Nous, notre devoir est de tout mettre en place pour qu'ils soient bien accueillis et qu'on ne leur fasse prendre aucun risque.

Publié le 13/10/2020 Auteur : Propos recueillis par Aurore de Carbonnières

 

A voir prochainement à Charleroi Danse :

L'Âge d'Or, le 21/10 à la Raffinerie (Bruxelles) et le 22/10 aux Ecuries (Charleroi), 5-15€

Focus Hip Hop, du 25 au 28/11, Charleroi, 5€ par représentation

Queen Blood, le 28/11, Charleroi, 5€ - le 25/11, Caserne Fonck, Liège, 5-23€, theatredeliege.be

+32 (0)71 20 56 40, www.charleroi-danse.be