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L'amour du disque

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Envie d’écouter de la musique ou de découvrir des artistes en bonne compagnie ? En attendant la réouverture des salles de concerts, les disquaires sont les lieux idéals pour retrouver une convivialité musicale et emporter chez soi des trésors spécialement conçus pour l’écoute domestique.

Durant le confinement, on tenta de combler l’absence de concerts par la diffusion de spectacles, prestations, performances filmées. Pâles substituts à la forme la plus vivante de nos addictives musiques live. Pourtant, il y avait une bien meilleure alternative à ces succédanés : le disque. Objet artistique intégralement voué à l’écoute différée, le disque est conçu pour la distanciation, jusque dans ses plus intimes et solitaires usages. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir le plaisir communicatif en soirée et sur les dancefloors. Discrets, le disque et ses subalternes streaming et MP3 ont été bien précieux durant ces mornes semaines. On a redécouvert nos trésors, exploré les nouvelles sorties et pour les plus accrocs soutenu l’effort de guerre en faisant tourner les « distros » de nos labels préférés.

Mais acheter un disque par VPC c’est un peu comme regarder un concert filmé. Avec la réouverture des disquaires, place aux contacts : feuilleter les bacs, écouter les dernières sorties et en débattre, toucher et admirer ces pochettes, effleurer ces vinyls… Une forme de fétichisme assurément, mais au-delà de la charge symbolique la pleine conscience de retrouver un maillon essentiel de la musique. Et sans doute l’occasion de replacer dans de nouvelles perspectives un objet dont « le monde d’avant » instruisait la désuétude. Le disque comme refuge, mais aussi le disque comme œuvre ultime, se suffisant à lui-même sans obligation de transposition scénique.

Depuis 10 ans, le Disquaire Day accompagne la résistance et le renouveau des disquaires indépendants, en France et dans les pays anglo-saxons. La crise sanitaire a soufflé prématurément les bougies du gâteau. Initialement prévu le week-end du 18 avril, le Disquaire Day s’étalera désormais sur plusieurs dates : 20 juin, 29 août, 26 septembre et 24 octobre. Une solution pour étaler et coordonner les évènements de ce rendez-vous : sorties d’environ 200 références internationales spécialement dédiées et forcément limitées puis espérons le retour des concerts showcases, DJ set, rencontres…Placée sous le bienveillant patronage du collectionneur maniaque Etienne Daho, cette édition éclatée du Disquaire Day démultipliera la chasse aux raretés façon Pokemon Go.

Les disquaires indépendants participant à cette opération sont dûment répertoriés sur le site du Disquaire Day. Mais l’ensemble des disquaires ne participe pas forcément à cette opération, parfois attaquée pour ses aspects à la Black Friday, les choix artistiques ou la spéculation qu’elle induit sur la rareté organisée des tirages limités. Le débat faisant office de troisième mi-temps chez les authentiques disquaires, il conviendra de se rendre chez les pro comme chez les anti et sans oublier les grandes surfaces spécialisées où œuvrent encore parfois d’authentiques passionnés.

Si chacun aime avoir ses habitudes chez son disquaire comme chez son coiffeur, la découverte de nouveaux lieux fait aussi partie du jeu. Il y a les adresses que l’on s’échange et puis il y a ces entreprises un peu dingues qui visent à répertorier l’ensemble des disquaires de la planète. Dans cette catégorie, les sites recordstores.love et vinylhub font références.

Mais pour acheter quoi ? Si les parutions se sont faites plus rares, cela n’a pas empêché des sorties notoires qui marqueront cette si particulière année 2020. La pop urbaine aux nues :. Nu-soul avec The Weeknd After Hours, nu-disco pour Dua Lipa Future Nostalgia, nu-R&B chez Rina Sawayama Rina Sawayama. Dans un registre plus rugueux, Charli XCX et son How I’m Feeling Now fait forte impression à la fois accrocheur et piquant, sa bubblegum bass éclate sur ce curieux velcro.

Pour Fiona Apple également, l’heure est à la dissonance et la vulnérabilité. Son Fetch the Bolt Cutters est clivant, donc tout va bien. Plus classiques sous la forme, Waxahatchee Saint Cloud et Laura Marling Song For Our Daughter  n’en ont pas moins des choses très intéressantes à dire et portent très haut le songwriting au féminin. On pardonnera tout au 925 des Anglais de Sorry, nouvelle sensation du nord de Londres qui postillonne un peu plus loin que les sempiternelles resucées post-punk. On passe également sur les cabotinages de Thundercat. Sûr de son talent, Thundercat nous envoie le pavé It Is What It Is depuis les étoiles. Un condensé de musiques psychédéliques afro-américaines à digérer goulûment. En une seule prise, l’overdose guette.

Heaven To A Tortured Mind, on peut difficilement trouver meilleur titre pour cet album d’Yves Tumor, à la production remarquable qui déchiquette la pop contemporaine quelque part entre le collage et le collapse. Plus sage d’apparence, le grae de Moses Sumney offre également une belle relecture art-soul. Jackie Lynn, alias Haley Fohr, apprécie également le décentrage et le changement de focale : sur Jacqueline Fohr renouvelle un théâtre glam en y injectant de l’electro et quelques audaces expérimentales abouties. Autre « misfits », l’auto désaxé acteur Caleb Landry Jones (Get Out, Mad Love in NY, X-Men…) s’offre et partage The Mother Stone, trip psyché très introspectif mais hyper référencé (Syd Barrett, Beatles). On adhère ou pas à cette démonstration exhibitionniste rodée comme un numéro de cabaret.

Stephin Merritt maîtrise également son sujet. Le nouveau Magnetic Fields, le bien nommé Quickies, égraine 28 titres dont le plus long « s’étire » sur 2’35 ‘’. En compagnie de Claudia Gonson, l’immense songwriter Merritt nous gratifie d’indispensables miniatures à forte concentration caustique.

Sur la scène française, on s’est activé également. Oh ! pourrait être la réaction critique suscitée par les puristes d’une poésie classique. Pensez donc, Ezéchiel Pailhès ne se contente pas de chanter Victor Hugo, Pablo Neruda, William Shakespeare ou Marceline Desbordes-Valmore, en plus il les plonge dans des compositions assez chics flirtant avec l’electro, le minimalisme, le jazz et même le classique revisité. Audace encore avec Facteurs Chevaux, le duo Sammy Decoster et Fabien Guidollet signe Chante Nuit, suite logique de La Maison sous les eaux. Du folk français contemporain débarrassé des folklores des terroirs et des clichés americana fantasmé. De nouveaux bardes pas du tout barbants. Le Tunnel Végétal de Thousand emprunte aux frondaisons d’un Alain Bashung 80’s, mais les fenêtres ouvertes sur l’air du temps, l’habitacle érudit de cet album de chansons pop invite à des escapades où l’on est assuré de ne pas effleurer les glissières de sécurité de ce charmant tunnel.

A la lisière du jazz, du funk et de l’afrobeat le Love Is Everywhere de Laurent Bardainne est une célébration musicale assez luxuriante où l’on a envie de câliner ce pacifique fauve.

Les concerts en rade, la vie musicale ne s’est pas pour autant arrêtée. Gageons que nous pourrons entendre ces artistes en concert dans les prochains mois. Pour notre part, nous continuerons à surveiller la situation et à vous en informer. Que ce soit sur les planches ou dans les bacs.

Publié le 19/06/2020 Auteur : Bertrand Lanciaux