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Au Prato, le rêve de faire lieu pour artistes et public

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En passant les rênes du Prato à Célia Deliau, Gilles Defacque et Patricia Kapusta tournent une page de l'histoire du Prato, et au-delà de tout un pan du paysage culturel lillois.

Des bancs du « bal-catch-théâtre » qui l'a vu naître en 1945, qu'il aime à évoquer et dont il a tiré la matière de bien des spectacles (Mignon Palace en 2006 ou Soirée de Gala en 2013) jusqu'à l'édition 2021 des Toiles dans la Ville, Gilles Defacque n'a jamais vraiment marché dans les clous. Après un passage par l'enseignement, il rejoint le Prato en 1973 alors compagnie amateur avant de lui donner forme, adopte le nez rouge et le burlesque et fait grandir les clowns à Lille et bien au-delà, se baptisant au passage en une bravade légère mais prophétique Théâtre International de Quartier. Avec Alain D'haeyer, la Polka des saisons, création emblématique de l'esprit Prato voit le jour en 1979. Eric Lacascade, Chantal Lamarre ou Ronny Coutteure y pointent le museau. Le premier Festival International des Clowns qui voit le jour en 1983 entame le voyage qui installera durablement le cirque dans la ville à tel point que l'équipe se voit attribuer les locaux de la rue de la Filature en 1985. Jusqu'au début des années 1990, la jeune maison n'aura de cesse de nouer des liens avec le monde des clowns et du cirque (notamment les étudiants du Centre National des Arts du Cirque), combinant des spectacles volontiers protéiformes où l'improvisation figure en bonne place. On y joue en rue ou en salle, car l'autre jambe du Prato c'est le théâtre, Calaferte ou Godot (au fil d'une trilogie En attendant Godot, Fin de partie et Oh les beaux jours), en tête. Les gestes comptent, les mots aussi, sans oublier la musique, figurant de longue date au menu maison.

 

Faire lien

 

Si la bonne humeur est omniprésente, elle n'empêche pas l'exigence. La maxime maison « rigueur et folie » incarne le sérieux avec lequel sont menés tous ces projets, qui permet au lieu d'être conventionné par la ville et la Direction Régionale des Affaires Culturelles en 1991, à la fois gage de reconnaissance et appui précieux pour poursuivre un inlassable travail de terrain. Tout comme l'arrivée de Patricia Kapusta. Passée aussi par l'enseignement puis par Danse à Lille aux côtés de Catherine Dunoyer de Segonzac, elle met son énergie à défricher les parcours administratifs pour vite pousser à les déborder. Le festival et la maison n'en finissent en effet pas de s'ouvrir aux artistes et de créer des liens aux quatre coins de la région et bien au-delà. On y répète, on y partage, on y transmet, on y échange. Entre artistes mais aussi avec des acteurs culturels de tous horizons. 1998 voit naître Au rayon burlesque, grande étape puisque le rendez-vous se consacre au spectacle sous chapiteaux, un autre cheval de bataille de la maison Prato. L'équipe fait des miracles pour imaginer propositions et rendez-vous inventifs, partagés et audacieux. En coulisse, Patrica Kapusta fait des prodiges pour donner forme aux idées incessantes, quitte à imaginer ce qui n'existe pas encore, des amitiés durables se forment, des réseaux se tissent édifiant déjà ce que le ministère de la culture mettra des années à reconnaître. L'art, le rire et l'art du rire, toujours teinté d'exigence et de curiosité, y incarnent plus que jamais des moyens de créer du lien d'élargir les esprits et les horizons.

Au seuil des années 2000, l'élan des débuts n'est pas tari. Les grandes machines comme Opéra Bouffe Circus côtoient les formes voyageuses (Le tournage imaginaire), les deux se répondent dans une volonté commune de toucher le public là où il est, d'inventer et de susciter une curiosité insatiable. Toujours, l'attention aux jeunes trouve sa place dans la programmation. Sur le parking de Norexpo, sous un petit chapiteau blanc, Le Boudu de Bonaventure Gacon fait ses débuts et, alors que Lille devient capitale culturelle européenne, le mois de décembre 2003 voit les Arts Sauts et leur vaste chapiteau illuminer le champ de mars pour une dernière édition du festival. Quand une grande partie de la culture se concentre en ville, Le Prato voyage encore avec Deûles d'amour, approchant encore différemment le public. Se jouant aussi des frontières, l'équipe tisse aussi une amitié durable avec les voisins belges de la Maison de la Culture de Tournai qui se concrétisera avec le PlôT (Pôle cirque transfrontalier Lille – Tournai) et fait de la contrebande culturelle avec des dizaines de bus et des milliers de spectateurs.

 

Faire lieu

 

Entre temps, l'écrin de la rue de la Filature a enfin été rénové. Gilles Defacque n'arrête pas de faire le comédien (dans Les barbares avec Eric Lacascade en 2006 ou Gilles d'un certain David Bobée en 2009), d'écrire, dessiner ou exposer (au Muba à Tourcoing déployant des dessins, dévoilant des bribes d'enfance ou un savant Traité de la photo ratée). Avant d'autres, l'équipe fait aussi une place particulière aux clownesses via Elles en rient encore et continue d'oeuvrer à partager la fibre circassienne entre jeunes pousses et artistes confirmés. 2011 marque la labellisation du lieu comme Pôle National des Arts du Cirque, consacrant plus de trente ans de travail et inaugurant le rendez-vous des Toiles dans la Ville qui fera vibrer, tous les deux ans, la métropole lilloise au rythme du cirque, essaimant d'un coin à l'autre des communes grandes ou petites en embarquant une palanquée de partenaires dans son sillage. Davantage qu'une scène, le Prato fait aussi figure de marqueur de la culture lilloise, témoin du bouillonnement des années 80, de la structuration des années 90 et terreau sur lequel a pu pousser l'année de capitale culturelle européenne, puis défenseur d'un engagement jamais démenti vers le cirque et ses mille formes. S'il est de toute ces (r)évolutions, c'est aussi parce que le duo Defacque-Kapusta qui le cornaque n'a pas hésité à prendre part à toutes les aventures, oser tous les projets, rencontrer tous les acteurs du territoire et au-delà, jetter des passerelles entre les disciplines, les quartiers, les artistes et le public quitte à jongler avec les absurdies de l'administration et de ses cases pour créer, imaginer ou inventer. Tels des Quichottes ne désarmant jamais, ils font des merveilles encore, malgré la pandémie, pour maintenir une édition 2021 des Toiles dans la Ville, combattant les frilosités, portant les audaces, accompagnant et accouchant les rêves, comme le fait le Prato depuis près d'un demi-siècle, combinant l'amour des mots, celui du geste et une musique omniprésente. Si le départ du duo (après quatre jours de fête partagée avec simplicité entre humour et émotion) marque un tournant pour le lieu, il tourne aussi une page pour la culture à Lille. Plutôt que faire mieux, objectif toujours vain en matière d'art, il faudra à Célia Deliau savoir faire lieu. C'est tout ce qu'on lui souhaite.

Quant à Gilles Defacque, il ne raccroche pas son nez rouge pour autant, il sera en juin 2022 chez David Bobée avec Loyal-Auguste, nouvelle facétie écrite pendant le confinement qu'il jouera avec son complice Jean Boissery. Bon vent.

Publié le 25/09/2021 Auteur : Guillaume B.

Le Prato 6 allée de la Filature à Lille leprato.fr 03.20.52.71.24